La place du spectateur

Longtemps le spectateur a accepté sa place fixe au théâtre, sa seule participation requise était d'applaudir à la fin la représentation et les acteurs. Parfois, il osait une diversion minime, un rire, un applaudissement devant un trait d'esprit particulièrement réussi ou une performance éblouissante d'un danseur ou d'un chanteur. Mais il était clairement établi qu'il y avait d'un côté la scène, illuminée et bruyante, et de l'autre côté la salle, obscure, bien sûr.

A l'arrivée du cinéma, en dehors des popcorns croustillants, le spectateur ne s'est pas plus manifesté.

Pourtant sans spectateur, pas de spectacle, pas d'art non plus.

Alors petit à petit, il a compris que sa place pouvait être plus importante que sa contribution économique et son temps de cerveau disponible. Sa participation requiert ses sens ; son intelligence et sa culture, individuelle et collective ; et enfin sa sensibilité et ses émotions.
Dans un monde où la hiérarchie et la soumission à une autorité supérieure est bousculée, notamment dans la sphère culturelle, peut-il encore se satisfaire d'être gentiment silencieux ?
Dans la plupart des oeuvres d'art numérique, sa position ne saurait être simplement passive, sinon à passer à côté de la proposition de l'artiste.

C'est un changement majeur dans le paradigme de l'oeuvre d'art que propose l'art numérique. En effet, il ne s'agit plus d'appréhender un objet proposé par un artiste tout puissant : le créateur, mais de comprendre que cette oeuvre n'existe que parce que l'artiste a déjà, dès la conception, inclus la relation unique et singulière du spectateur dans l'expérience qui sera vécue.

Car l'artiste, toujours visionnaire, a compris plus tôt que le reste de la société que l'appropriation de la culture, expression populaire et incomprise, passera aussi par de nouvelles formes d'expression.

Alors nous aurons des milliers de personnes déambulant, photographiant, riant devant une projection colorée d'un bâtiment central dans la ville, nous aurons des bambins essayant d'attraper des points lumineux qui les poursuivent, nous aurons des lecteurs obligés de rester calmes devant un écran pour lire le texte qui menace de s'effacer, nous aurons des passants totalement étrangers dansant ensemble dans des cases séparées se rejoignant à la fin.

Nous aurons cet art nouveau, ce spectateur nouveau qui, émerveillé, apprendra que sa place, petite, faible, et néanmoins unique, fait naître et vivre à chaque fois, une beauté supplémentaire en ce monde.

Ksenija Skacan
Co-fondatrice, Le Pixel Blanc

 

Image courtesy of Fred Périé.